INTRODUCTION
La plus belle expérience qui nous puissions vivre est celle du mystère.
ALBERT EINSTEIN dans Philosophies vivantes, 1931.
La science ne comporte plus de vérités absolues. Même la discipline de la physique, dont les lois autrefois n’étaient pas attaquées, a dû se soumettre à l’indignité d’un principe d’incertitude. En ce climat d’incrédulité, nous avons commencé à douter même de propositions fondamentales et la vieille distinction entre naturel et surnaturel a perdu tout son sens.
Cela m’excite au plus haut point. La science figurée comme un puzzle, avec un nombre infini de pièces qui, un jour, seraient toutes bien proprement mises en place, ne m’a jamais séduit. L’expérience prouve que les choses se passent tout autrement. Chaque amélioration apportée au microscope révèle de nouveaux détails infimes dans des structures autrefois considérées comme indivisibles. Chaque accroissement de la puissance du télescope ajoute des milliers de galaxies à une liste déjà si longue qu’elle n’a de signification que pour des mathématiciens. Même l’étude de ce qui autrefois semblait être de simples types de comportement a maintenant des prolongements sans fin.
Il y a cinquante ans, les naturalistes se contentaient d’observer que les chauves-souris attrapent des papillons de nuit. Puis vint la découverte que les chauves-souris produisent des sons inaudibles pour l’oreille humaine et se servent d’échos pour localiser leur proie. Il apparaît maintenant que non seulement les papillons de nuit possèdent une protection contre le son, mais qu’ils ont des oreilles spécialement conçues pour capter l’approche d’un émetteur ennemi. En riposte à ce progrès technique, les chauves-souris ont adopté un itinéraire de vol irrégulier qui a désorienté les papillons jusqu’à ce que ceux-ci les aient à leur tour rattrapées avec un système de brouillage des ultrasons. Cependant, les chauves-souris continuent de capturer des papillons de nuit, et la découverte par les savants d’une nouvelle étape dans l’escalade de cette guerre de la nature peut n’être plus qu’une question de temps.
La meilleure des sciences a des contours indécis, des limites qui restent obscures et s’étendent sans interruption jusqu’en des régions totalement inexplicables. Sur la frange, entre les phénomènes que nous tenons pour normaux et ceux qui, tout à fait paranormaux, défient l’explication, il existe une masse de phénomènes semi-normaux. Entre la nature et le surnaturel, il existe un ensemble de phénomènes que je propose de désigner par le nom de Surnature. C’est de cet entre-deux que traite le présent livre.
Au cours d’études passablement éclectiques, englobant la plupart des sciences naturelles, à bien des moments le programme a frôlé quelque chose d’étrange, a renâclé devant l’obstacle et l’a franchi comme si rien ne s’était passé. Ces points de rupture m’ont toujours tracassé, j’en ai rencontré un si grand nombre que le moment me paraît venu d’y revenir pour les rassembler et chercher à les relier au reste de mon expérience. De cette confrontation semble se dégager un sens cohérent, mais je tiens à souligner qu’il ne s’agit là que d’une ébauche et non d’une étude définitive. Ma synthèse dépasse tellement les bornes des pratiques admises que je dois me résigner d’avance à la voir taxée d’extravagance par bien des savants, tandis que les tenants de l’occultisme lui reprocheront de ne pas aller assez loin. Mais voilà précisément l’utilité de jeter des ponts : j’espère qu’une rencontre se produira quelque part à mi-chemin.
En général, on définit le surnaturel comme ce qui n’est pas explicable par les forces connues de la nature. La Surnature, elle, ne connaît aucune limite. Trop souvent, nous ne voyons que ce que nous nous attendons à voir, et notre vision du monde se trouve restreinte par les œillères d’une expérience limitée ; mais il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. La Surnature est la nature avec toutes ses saveurs intactes, là, toutes prêtes, attendant d’être goûtées. Je la propose comme une extension logique de l’état présent de la science ; comme une solution à certains des problèmes auxquels se heurte la science traditionnelle et comme un analgésique pour l’homme moderne.
J’espère qu’elle apportera encore davantage. Un des traits les plus constants du comportement humain est le besoin de croire à l’invisible et, en tant que biologiste, il me paraît difficile d’admettre que ce soit pur hasard. Ces croyances, ou les faits singuliers à quoi elles s’attachent avec tant d’obstination, doivent avoir une réelle importance pour la survie de l’espèce et je crois que nous approchons rapidement du moment où cette importance nous apparaîtra. Plus l’homme épuisera les ressources du monde, plus il lui faudra compter sur celles qu’il porte en lui. Beaucoup d’entre elles sont encore cachées dans l’ « occulte », mot qui signifie simplement « connaissance secrète » et qui définit parfaitement quelque chose que nous savons depuis toujours, mais que nous avons toujours refusé de voir.
Cette histoire naturelle du surnaturel se propose d’étendre l’usage des cinq sens traditionnels à des domaines jusqu’à présent réservés à d’autres sens secrets. Elle tente de faire entrer la nature, connue et inconnue, dans le corps unique de la Surnature et de montrer que, de toutes nos facultés, aucune n’est plus importante, en ce temps présent, que la faculté de nous émerveiller.